J’avais quatorze ans quand Leonard Cohen est entré dans ma vie. C’était

l’époque de son retour sur la scène musicale avec l’album « I’m Your Man ». Un

jour, dans la capitale nord-américaine de mon enfance, son profil est apparu à

l’écran de la télévision. Dès que je l’ai vu déambulant sur la plage de

Trouville avec son long manteau noir et sa valise dans la vidéo noir et blanc

« First We Take Manhattan », quelque chose a basculé. Dans ma chair, il a

tracé son chemin d’exils. Sa voix a fissuré ma silhouette de jeune fille pour

en extraire un corps de femme débordant de sensualité. Beaucoup plus tard,

c’est avec lui que j’ai vécu la plus inattendue de toutes mes histoires

d’amour. La plus inattendue, car elle est née avec sa mort, voire de sa mort

elle-même. « Tu es la femme qui m’a délivré / Je t’ai vue observer la lune /

tu n’as pas hésité / à m’aimer avec elle ». Parce que sa poésie m’habite

depuis si longtemps, à travers ses chansons et ses recueils, et parce qu’il a

dessiné pour nous l’architecture de l’amour, j’ai choisi de lui consacrer ce

duetto en guise d’hommage. — Chantal Ringuet

L'auteure: Docteure en lettres et spécialiste de Leonard Cohen, Chantal Ringuet

se consacre à l'écriture, à la traduction (de l'anglais et du yiddish) et à la

recherche. Enseignante-intervenante à l'Institut européen Emmanuel Lévinas de

Paris, elle a co-édité (avec Gérard Rabinovitch) l'ouvrage "Les révolutions de

Leonard Cohen" (Québec, PUQ, 2016). Elle a publié plusieurs textes sur

l'artiste, notamment dans le catalogue d'exposition "Leonard Cohen. Une brèche

en toute chose" (MAC, 2017).